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Retour sur « Immortality » : ode au cinéma

Après « Her Story » et « Telling Lies », Sam Barlow déploie en 2022 son obsession cinématographique dans une fiction interactive complètement méta qui résonne comme un hommage au 7e art. Un ovni ludique non sans défaut de gameplay, mais étrangement envoûtant.

« Immortality » ne prend pas son joueur par la main. Si l’interface explique rapidement comment procéder pour stocker et filtrer les différentes séquences au fil de leur visionnage, rien n’est annoncé quant à l’objectif de jeu. Ou plutôt, rien de plus qu’une enquête dans l’enquête : celle de la vie de Marissa Marcel, actrice américaine fictive dont la carrière est ici représentée par les fragments de 3 films inachevés (un film noir et religieux des années 1960, un polar arty-érotique des années 1970 et un drama lynchéen des années 1990.

La fouille des archives visuelles repose ici sur un système point and click de correspondances visuelles, technique simple mais efficace : cliquer sur un objet ou un visage conduit à un nouveau fragment de pellicule. La linéarité s’efface, laissant place à une exploration déroutante. Car ce n’est pas seulement une histoire qu’on recompose : c’est une énigme existentielle. Celle de Marissa Marcel, bien entendu, mais au-delà, sa projection comme figure du cinéma, à la façon du dédoublement psychique de « Mulholland Drive » de Lynch.

L’actrice incarne à elle seule l’ambiguïté : muse et prisonnière, étoile montante et spectre en déclin. L’interprétation de Manon Gage est d’une rare intensité. Elle transcende le cadre limité du FMV pour livrer une prestation à la fois vulnérable et insaisissable, comme si chaque geste portait un poids narratif invisible. Les autres acteurs, tout aussi talentueux, contribuent à cette alchimie étrange où fiction et réalité s’entrelacent. Les dialogues, souvent improvisés, dégagent une authenticité troublante, renforçant l’illusion que l’on fouille de vraies archives.

Reste que le gameplay peut devenir répétitif, voire frustrant. L’exploration plonge parfois dans une errance où l’on perd le fil. Certaines séquences, rembobinées, seront comme des portails vers une seconde couche explicative, carrément surnaturelle, mais qui laisse un peu sur sa faim. A noter que si un système de tri permet de classer ses archives vidéos, celui-ci est très sommaire et ne permet pas vraiment de personnaliser sa propre reconstitution scénaritstique.

« Immortality », dans son essence même, est une déclaration d’amour au cinéma tout autant qu’une métacritique de sa fabrication. Chaque plan, savamment construit pour coller au genre et à l’époque du film, porté par des acteurs excellents, porte en lui comme une authenticité presque douloureuse, peut-être celle d’une vérité que le joueur ne peut qu’effleurer, jamais saisir pleinement.

Sam Barlow a développé un projet unique, mêlant enquête, réflexion métaphysique et hommage au 7e art, à prendre comme un objet vidéo interactif plus que comme une véritable expérience ludique.

3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

« Immortality », de Sam Barlow (Half Mermaid)
https://halfmermaid.co/